La Cour d’appel de l’Ontario se prononce sur le caractère arbitrable des revendications d’un employé en matière d’avantages sociaux

Un employé syndiqué a qui on a refusé certains avantages sociaux doit-il chercher réparation devant l’arbitre ou devant le tribunal ? Pendant bien des années, pour répondre a cette question, il fallait voir si la convention collective manifestait la volonté de l’employeur de se charger de fournir les avantages sociaux. Maintenant, d’apres certains, la Cour d’appel a adopté une position qui rendra tout conflit de ce genre arbitrable.

Dans l’affaire Pilon c. International Minerals & Chemical Corporation et London Life Insurance Co. (19 novembre 1996), Victorien Pilon poursuivait et son employeur et London Life, l’assureur, apres le refus par son employeur d’accéder a sa demande de prestations pour invalidité a court terme et de présenter a l’assureur sa demande de prestations d’invalidité a long terme.

La convention collective prévoyait que l’employeur devait payer tous les avantages sociaux, a l’exception des prestations d’invalidité a long terme. Celles-ci devaient etre versées par London Life par l’entremise d’un régime administré par l’employeur et payé par les employés au moyen de déductions salariales. Les modalités du régime d’invalidité a long terme étaient présentées dans un manuel distribué aux employés. Ces modalités étaient incluses, par référence, dans la convention collective.

Le tribunal de premiere instance a rejeté la demande de Pilon, déclarant qu’elle n’avait pas compétence sur une question qui découlait de la convention collective. Pilon a interjeté appel de la décision.

Devant la Cour d’appel, Pilon a concédé que sa plainte contre l’employeur, pour les prestations d’invalidité a court terme, devait procéder par voie d’arbitrage. Cependant, a-t-il soutenu, son différend avec London Life découlait de la police d’assurance et était distinct de sa réclamation contre l’employeur.

London Life a répondu que le droit de Pilon aux prestations d’invalidité a long terme découlait uniquement de la convention collective. En vertu de la loi provinciale en matiere de relations de travail, le but de l’arbitrage obligatoire est d’offrir un mécanisme global pour résoudre les différends découlant de la convention collective. Cet objectif ne serait pas respecté, d’apres l’assureur, si les tribunaux devaient assumer une compétence concomitante en la matiere.

COUR D’APPEL : LE DIFFÉREND RELEVE DE LA CONVENTION COLLECTIVE

La Cour d’appel, a l’unanimité, a débouté Pilon, déclarant que puisque le différend relevait de la convention collective, il ne pouvait faire l’objet d’une poursuite devant les tribunaux. La Cour a indiqué que la Cour supreme du Canada avait déclaré dans deux arrets que les tribunaux n’étaient pas compétents pour juger les questions qui relevent de l’arbitrage.

La Cour d’appel a cité la décision de la Cour supreme dans l’affaire St. Anne Nackawic Pulp and Paper Co. c. Syndicat canadien des travailleurs du papier (1989), ou l’employeur avait tenté de poursuivre le syndicat pour des dommages subis en raison d’une greve illégale, qui était interdite par la convention collective. « L’attitude moderne », selon la Cour supreme, voulait que les lois sur les relations de travail fournissent un cadre régissant tous les aspects des relations de travail, et ce cadre législatif serait miné si les tribunaux avaient une compétence concomitante sur des réclamations en vertu de la convention collective.

La Cour d’appel ajoute que la Cour supreme a d’ailleurs confirmé cette optique dans l’arret Weber c. Ontario Hydro (1995). La Cour a également déclaré dans Weber que ce sont les faits de l’affaire, et non sa caractérisation juridique, qui déterminent si l’objet du litige releve de la convention collective:

[TRADUCTION] « La Cour [dans l’affaire Weber] a déclaré que pour déterminer si un probleme particulier était couvert par une clause d’arbitrage exclusive, il faut considérer les faits entourant le différend entre les parties, et non pas la façon juridique dont le différend pourrait etre articulé…La Cour a déclaré:
« Il ne s’agit pas de savoir si l’action, définie en termes juridiques, est indépendante de la convention collective, mais plutôt si le litige résulte [de la] convention collective ». Si, peu importe ce dont il peut etre qualifié sur le plan juridique, le litige résulte de la convention collective, seul le tribunal du travail peut l’entendre, a l’exclusion des cours de justice. »
En fonction de cette analyse, la Cour d’appel a conclu que Pilon n’avait pas droit aux prestations d’invalidité a long terme, en l’absence d’un régime d’assurance collective établi par la convention collective :
[TRADUCTION] « En l’espece, le droit [de l’employé] a des prestations d’invalidité a long terme fournies par [l’assureur] découle de la convention collective. En l’absence d’un régime d’assurance collective établi par la convention collective, [l’employé] ne peut nullement revendiquer ces prestations. »
La tentative de Pilon de caractériser le différend comme un probleme contractuel avec l’assureur, entierement distinct de la convention collective, n’était pas du tout justifiée, a déclaré la Cour. Le différend relevait de la convention collective et devait donc etre résolue par voie de grief et d’arbitrage.

NOTRE POINT DE VUE

Si elle est interprétée au sens le plus large, cette décision pourrait vouloir dire que tout différend relatif au refus de prestations doit etre réglé par arbitrage si le droit aux prestations n’existe qu’en vertu de la convention collective. Si tel est le cas, cette décision pourrait faire renverser toute une série de décisions arbitrales ou le libellé de la convention collective a été soigneusement étudié pour déterminer si effectivement l’employeur avait assumé la responsabilité de fournir les prestations.

Cependant, meme si on adopte l’approche traditionnelle, il est bien établi qu’un régime d’avantages inclus par référence dans la convention collective, comme en l’espece, rend le différend arbitrable. En outre, l’employeur ici était l’administrateur du régime. Par conséquent, le résultat de cette affaire va dans le meme sens que les décisions antérieures, meme si la Cour d’appel ne mentionne ni l’un ni l’autre de ces facteurs dans ses motifs, et choisit plutôt d’invoquer l’intégrité du processus des relations de travail pour refuser aux tribunaux compétence en la matiere. (Voir aussi « A-t-on résolu la confusion entourant le caractere arbitrable des réclamations présentées par des employés? » et « La Cour d’appel de l’Ontario se prononce a nouveau sur le caractere arbitrable des demandes de prestations » sous la rubrique « Publications ».)

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec André Champagne au (613) 563-7660, poste 229.

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