Le congédiement d’une infirmière pour vol de stupéfiants en raison d’une dépendance est discriminatoire, mais la réintégration n’est pas appropriée

Dans l’affaire récente Humber River Hospital c. Ontario Nurses’ Association (décembre 2018), un arbitre s’est penché sur la question complexe du vol de stupéfiants commis par une infirmière en raison de sa dépendance. Il s’agissait de savoir si l’hôpital avait manqué à son obligation d’accommodement lorsqu’il a congédié une infirmière travaillant aux urgences qui avait une dépendance à la drogue et qui avait volé des stupéfiants de l’hôpital et les avait utilisés au travail. Le syndicat a soutenu que l’hôpital avait manqué à son obligation d’accommodement et déposé un grief contre le congédiement au motif qu’il était discriminatoire puisque la conduite découlait du handicap que constitue la dépendance. Le syndicat a aussi soutenu que les actes de l’hôpital contrevenaient à la clause de représentation syndicale de la convention collective, car l’hôpital n’avait pas donné de préavis approprié à la plaignante avant la réunion de congédiement même si celle‑ci fut en fin de compte représentée à la réunion. Le syndicat a notamment sollicité la réintégration de la plaignante avec accommodements. L’hôpital a soutenu qu’il ignorait que la plaignante avait une dépendance lorsqu’il l’avait congédiée. Le congédiement découlait plutôt de la gravité de son comportement et du risque pour la santé et la sécurité que celui‑ci posait. L’hôpital a donc affirmé que sa conduite n’était pas discriminatoire et que le congédiement devait être confirmé.

Dans une décision instructive pour les employeurs relativement à l’obligation d’accommodement, l’arbitre a conclu que le congédiement était discriminatoire et que l’hôpital n’avait pas respecté son obligation procédurale d’accommodement. Toutefois, l’absence continue de sincérité et de franchise de l’infirmière au sujet de sa dépendance, même après avoir déclaré qu’elle était maintenant sobre, a miné la confiance nécessaire à une relation d’emploi. Ainsi, la réintégration a été jugée ne pas constituer une réparation appropriée.

Les faits

Pendant un quart de nuit, une autre infirmière a vu la plaignante amener la morphine d’un patient dans une chambre vide, laisser tomber un objet dans un contenant pour objets pointus et tranchants à trois reprises et mettre la main dans sa poche, moment auquel l’autre infirmière a entendu quelque chose tomber. L’infirmière a signalé ce qu’elle avait observé à une chef d’équipe, qui a discuté de la question avec la plaignante. À ce moment‑là, la plaignante a déclaré : [traduction] « Je suis vraiment désolée, je pense que j’ai une tumeur au cerveau, j’ai toujours des maux de tête et je suis peut-être en train de mourir ». Pendant la discussion, la plaignante a révélé qu’elle avait six ou sept flacons de morphine dans sa poche. Lorsqu’on a demandé à la plaignante si elle avait quelque chose dans son sac, la plaignante a révélé des flacons de médicaments et de comprimés.

La gestionnaire de la plaignante a eu une réunion avec la plaignante, les Ressources humaines et le représentant syndical de la plaignante. À la réunion, la plaignante a confirmé que les médicaments dans son sac avaient été pris de l’hôpital et étaient destinés à ses patients. Elle a déclaré qu’elle donnait à ses patients la moitié d’un flacon de médicaments pour en conserver l’autre moitié. Si le patient avait besoin d’autres médicaments par la suite, elle prenait un flacon neuf pour elle-même et donnait au patient l’autre moitié du premier flacon. Elle a déclaré agir ainsi pour lutter contre son état. Elle a admis avoir consommé de la drogue pour la dernière fois avant le début de son quart la nuit précédente, drogue qu’elle avait auparavant subtilisée à l’hôpital. Selon elle, si elle ne l’avait pas fait, elle aurait été incapable de travailler. Lorsque l’effet de la drogue s’est dissipé, deux heures avant la réunion, elle a pris du Tylenol. Elle n’a pas déclaré avoir une dépendance pendant cette réunion.

Le syndicat a ensuite soulevé des préoccupations au sujet des réponses de la plaignante en raison de la crainte que la plaignante soit sous l’influence de la drogue pendant la réunion. La plaignante a été renvoyée chez elle en taxi. Ce soir‑là, la plaignante a envoyé deux courriels à sa gestionnaire, la remerciant de son appui, lui demandant des conseils et déclarant [traduction] « Je veux être sobre ». Elle a aussi mentionné la possibilité de travailler dans un autre département, à l’écart des médicaments, si elle retournait au travail.

L’hôpital a mené une enquête et a conclu que la plaignante avait volé des stupéfiants et d’autres médicaments, qu’elle s’était injectée des stupéfiants volés, qu’elle n’avait pas donné aux patients les médicaments qu’elle avait volés, qu’elle s’était administrée elle-même les médicaments volés, qu’elle avait travaillé sous l’influence des stupéfiants, qu’elle avait falsifié des documents concernant l’administration de médicaments et qu’elle avait détourné des médicaments. La plaignante a été congédiée trois jours après la réunion. Pendant la réunion de congédiement, l’hôpital a offert verbalement à la plaignante le soutien du programme d’aide aux employés.

L’approche qu’il convient d’adopter dans les affaires d’accommodement

L’arbitre a déclaré qu’il faut d’abord démontrer la discrimination à première vue en prouvant ce qui suit :

  1. Le plaignant a une caractéristique protégée contre la discrimination en vertu de la législation sur les droits de la personne ;
  2. Il a subi un effet défavorable ;
  3. La caractéristique fut un facteur de l’effet défavorable.

En analysant la troisième considération, l’arbitre a souligné l’importance d’aborder chaque affaire à la lumière de ses propres faits. L’arbitre a fait remarquer que : [traduction] « Dans certains cas, il se peut qu’une dépendance n’ait aucun effet sur la capacité de l’employé de se conformer aux règles du milieu de travail, tandis que dans d’autres cas, elle peut priver l’employé de la capacité de se conformer ». Ce qu’il faut déterminer à cette étape, ce n’est pas si l’employeur avait une intention ou une attitude discriminatoire lorsqu’il a pris la décision, mais s’il y a eu un effet discriminatoire.

Une fois que la discrimination à première vue est prouvée, il faut passer à l’obligation d’accommodement de l’employeur. L’arbitre a pris soin de souligner que ce n’est pas parce que la discrimination à première vue est prouvée que l’employé doit être accommodé. Dans les cas de dépendance, cela pourrait constituer une contrainte excessive pour un employeur d’accommoder un employé qui refuse le traitement ou qui nie la pleine mesure de sa dépendance. De tels facteurs pourraient miner la capacité de rétablir la confiance nécessaire pour le maintien de la relation d’emploi ou d’établir la confiance de l’employeur que l’employé ne se livrera plus à des actes incompatibles avec la relation d’emploi.

Le manquement par l’employeur à son obligation d’accommodement

En appliquant les considérations précédentes à cette affaire, l’arbitre a convenu à la lumière de la preuve que la plaignante avait une dépendance. Il n’était pas contesté que le congédiement était un effet défavorable sur la plaignante. L’arbitre a jugé que la dépendance constituait un facteur qui a joué un rôle dans le congédiement. Par suite de la preuve produite par le médecin de la plaignante, un spécialiste en traitement de la dépendance qui l’avait traitée et dont le témoignage a été jugé équitable et équilibré, l’arbitre estimait que la plaignante avait volé et utilisé les médicaments pour gérer sa dépendance et pour être capable de travailler. L’arbitre a souligné que : [traduction] « Le détournement de médicaments est caractéristique de la dépendance, particulièrement pour les professionnels de la santé ». Il faut souligner que l’arbitre a convenu que l’hôpital ne l’avait pas congédiée parce qu’elle était dépendante et qu’il n’avait pas de préjugés envers les personnes dépendantes. Il n’était cependant pas nécessaire que l’hôpital ait une intention discriminatoire puisque l’analyse repose sur la question de savoir si l’effet était ou non discriminatoire. Compte tenu du lien entre le handicap et le congédiement, le congédiement était discriminatoire à première vue.

Abordant l’analyse concernant l’obligation d’accommodement de l’hôpital, l’arbitre a conclu que l’hôpital n’avait pas envisagé l’accommodement de la plaignante, avant ou après avoir appris qu’elle était dépendante. L’hôpital a plutôt adopté la position dans toute cette affaire que [traduction] « un vol, c’est un vol » et avait [traduction] « agi rapidement pour congédier la plaignante pour cause de vol, sans tenir compte de l’obligation d’accommodement ». Cette façon d’agir constitue un manquement par l’hôpital à son obligation procédurale d’accommodement. Le défaut par la plaignante de déclarer explicitement qu’elle avait une dépendance avant d’être congédiée ne soustrayait pas l’hôpital à son obligation d’accommodement. On sait que la dénégation et l’incapacité de divulgation sont caractéristiques de la dépendance. L’arbitre a conclu que [traduction] « l’hôpital avait suffisamment de renseignements avant le congédiement de la plaignante pour soupçonner un handicap et a choisi d’en faire fi et de procéder au congédiement à la lumière de ses opinions concernant la gravité du vol ».

À cet égard, l’arbitre a souligné que l’hôpital savait, dès la fin de son enquête, que la plaignante avait une grande quantité de médicaments, qu’elle était sous leur influence au travail et qu’elle se comportait étrangement, qu’elle avait détourné des médicaments à ses fins personnelles, qu’elle les prenait elle-même et que les raisons qu’elle avait données pour l’expliquer n’étaient ni cohérentes ni claires. Elle avait également mentionné avoir un grave problème qu’elle avait caché à sa famille, de même qu’un désir d’être « sobre ». Elle avait indiqué dans son courriel à sa gestionnaire qu’elle pouvait occuper un poste qui ne la mettrait pas en contact avec des médicaments. Ces facteurs sont tous [traduction] « des indicateurs du lien entre le vol de drogue par la plaignante et le handicap que constitue une dépendance », de sorte que l’hôpital savait, ou aurait dû savoir, qu’il était possible que la conduite de la plaignante soit liée à la pharmacodépendance. Le défaut par l’hôpital d’examiner la possibilité d’un handicap ou de déterminer s’il était possible d’accommoder la plaignante constituait un manquement à son obligation procédurale d’accommodement.

La réintégration ne constitue pas la mesure appropriée

L’arbitre a souligné que, généralement, il aurait renvoyé l’affaire aux parties pour qu’elles déterminent si l’accommodement de la plaignante était possible. Il s’inquiétait cependant de sérieuses contradictions dans le témoignage de la plaignante, particulièrement en ce qui concerne le moment du début de sa dépendance. Même s’il a reconnu que la dénégation de la dépendance, la rechute et les problèmes de mémoire étaient caractéristiques de la dépendance, les contradictions dans le témoignage de la plaignante équivalaient essentiellement à deux récits entièrement différents de sa dépendance et des événements qui ont entraîné son congédiement. L’arbitre a donc conclu que la plaignante n’était pas sincère et franche même si elle avait affirmé être en rémission complète et comprendre parfaitement son handicap. Ainsi, [traduction] « le manque de franchise continu de la plaignante, même lorsqu’elle prétendait être sobre et en rémission, a miné la confiance qui est essentielle à la relation d’emploi », de sorte que la réintégration n’était pas appropriée. Les parties ont été chargées de convenir d’autres mesures de réparation, tandis que l’arbitre demeurait saisi du dossier au cas où une entente ne pourrait pas être conclue à cet égard.

La représentation syndicale

Dans son grief, le syndicat a aussi soulevé la question de ce qui constituait selon lui un préavis irrégulier de la réunion de congédiement. À son avis, on a seulement dit à la plaignante qu’elle devait y assister, sans lui indiquer l’objectif de la réunion ni l’informer de son droit à la représentation syndicale. Le syndicat a ajouté que ses représentants n’ont pas eu de renseignements détaillés au sujet de l’objectif de la réunion, ce qui a amené le syndicat à croire que la réunion était une poursuite de l’enquête, et non pas une réunion de congédiement. Le syndicat a soutenu que la contravention n’était pas seulement de nature technique, mais qu’elle l’avait empêché de fournir à la plaignante une véritable représentation qui aurait pu changer le résultat disciplinaire.

L’hôpital a soutenu qu’il n’avait pas contrevenu à l’obligation de préavis, et que même s’il l’avait fait, la contravention était de nature technique seulement. En réalité, la plaignante a été représentée à la réunion par un représentant syndical expérimenté. Le représentant n’a pas soulevé d’objection concernant la question du préavis à ce moment‑là. L’hôpital a ajouté qu’il avait fait participer le syndicat à la réunion d’enquête, contacté le président de l’unité de négociation avant la réunion de congédiement et communiqué concrètement la gravité de la situation.

L’arbitre a conclu que le libellé de la clause obligeait clairement l’hôpital à fournir un préavis du droit de l’employé à la représentation syndicale en cas de suspension ou de congédiement. Même si l’hôpital avait pris les dispositions nécessaires pour que la plaignante bénéficie d’une représentation syndicale à la réunion, il n’a pas explicitement informé la plaignante de son droit à la représentation avant la réunion et ne l’a pas informée de l’objectif de la réunion. Cela ne satisfaisait pas à l’exigence de préavis, qui est conçu pour donner à l’employée l’occasion de consulter son syndicat avant la réunion. Toutefois, la communication de l’employeur avant la réunion selon laquelle la situation n’était « pas bonne » a été interprétée par le syndicat comme signifiant que l’employée allait être congédiée. L’hôpital avait également informé le syndicat que le congédiement était possible. Le syndicat avait aussi assisté à la réunion d’enquête et avait la même information que l’hôpital concernant la conduite de la plaignante. L’arbitre a donc conclu que le syndicat avait reçu un véritable préavis du congédiement.

L’arbitre a chargé les parties de convenir entre elles de la mesure de réparation appropriée pour l’atteinte au droit à un préavis de la plaignante.

 

À notre avis

Cette décision est un rappel utile aux employeurs au sujet de la nécessité de respecter leurs obligations en matière de représentation syndicale et de préavis de rencontres disciplinaires en vertu de leur convention collective. Un arbitre n’hésitera pas à annuler une mesure disciplinaire ou à imposer d’autres mesures de réparation lorsque ces obligations ne sont pas respectées.

Les obligations procédurales de l’employeur sont aussi importantes dans l’exécution de son obligation d’accommodement, particulièrement dans les cas de dépendance. Cette décision fait ressortir qu’il ne suffit pas pour un employeur de traiter tous ses employés de la même façon. Lorsqu’une dépendance constituant un handicap est un facteur d’une conséquence défavorable pour un employé, comme une sanction pour contravention aux règles du milieu de travail, la prise de décision de l’employeur doit prendre en considération son obligation d’accommodement. Même si en fin de compte un employé ne peut pas être accommodé, il demeure essentiel pour l’employeur d’être en mesure de démontrer qu’il a pris toutes les mesures procédurales nécessaires pour déterminer s’il y avait un handicap, si le handicap était un facteur dans la conduite de l’employé et si l’employé peut être accommodé sans contrainte excessive.

Le raisonnement qu’a suivi l’arbitre dans Humber River Hospital a récemment été adopté avec approbation dans l’affaire Regional Municipality of Waterloo (Sunnyside Home) c. Ontario Nurses’ Association (janvier 2019), qui portait également sur le vol de stupéfiants par une infirmière en raison d’une dépendance. Dans Waterloo, l’arbitre a conclu que le syndicat avait établi la discrimination à première vue parce que la contravention par l’infirmière aux règles du milieu de travail, comme le vol et l’usage de stupéfiants et la falsification de dossiers médicaux, avait été causée par sa dépendance. L’employeur a été jugé avoir manqué à son obligation procédurale d’accommodement parce qu’il n’a pas convenablement envisagé l’accommodement, considérant toujours qu’il s’agissait d’un cas de congédiement motivé. Il n’a pas non plus pris de mesures pour déterminer si la plaignante avait besoin d’accommodement, malgré les observations et les rapports au sujet de son apparence et de son comportement qui auraient dû amener l’employeur à soupçonner qu’elle avait un handicap. La preuve de l’employeur sur les raisons de l’impossibilité d’accommoder la plaignante était insuffisante. Ainsi, l’arbitre a ordonné la réintégration de la plaignante et son accommodement sans contrainte excessive. Comme la décision rendue dans Humber River Hospital, la décision dans Waterloo fait ressortir l’importance de l’aspect procédural de l’obligation d’accommodement de l’employeur.

Si vous voulez davantage d’information, veuillez communiquer avec André Champagne au 613‑940‑2735.

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