Le Tribunal des droits de la personne statue qu’il n’est pas une instance d’appel des décisions du Tribunal de l’enfance en difficulté

Récemment, le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario a étudié une requête en vertu du Code des droits de la personne (le « Code ») alléguant que le Conseil scolaire du district de Toronto (le « CSDT ») avait fait preuve de discrimination à l’endroit d’un élève du secondaire en n’offrant pas un programme d’enseignement à l’enfance en difficulté correspondant aux besoins de l’élève handicapé. Dans Schafer c. Toronto District School Board (février 2010), le Tribunal a rejeté la requête de l’élève en disant qu’il n’est pas une instance d’appel des décisions du Tribunal de l’enfance en difficulté. Le Tribunal a par ailleurs statué qu’il n’y a pas d’éléments de preuve que les accommodements faites par le CDST étaient nettement inappropriées ou insuffisantes.

LE RÉGIME STATUTAIRE POUR L’ENFANCE EN DIFFICULTÉ

La Loi sur l’éducation (la « Loi ») reconnaît que les élèves ayant des besoins spéciaux ne peuvent recevoir de services d’enseignement égaux à moins d’accommodements appropriées. La Loi oblige les conseils scolaires à faire des accommodements pour ces élèves en offrant des programmes d’enseignement à l’enfance en difficulté pour l’identification et le placement des élèves ayant des besoins spéciaux.

Le régime statutaire pour l’enfance en difficulté est prévu dans la Loi sur l’éducation, qui porte qu’un « élève en difficulté » est un « élève atteint d’anomalies de comportement ou de communication, d’anomalies d’ordre intellectuel ou physique ou encore d’anomalies multiples qui appellent un placement approprié… dans un programme d’enseignement à l’enfance en difficulté… »

La Loi oblige à mettre des services d’enseignement à l’enfance en difficulté à la disposition de tous les élèves en difficulté en Ontario. Le règlement d’application de la loi fixe d’autres détails pour les programmes d’enseignement à l’enfance en difficulté et pour l’identification et le placement des élèves en difficulté. Le but des programmes d’enseignement à l’enfance en difficulté est étroitement lié au but des accommodements en vertu du Code, comme l’a résumé le Tribunal dans Campbell c. Toronto District School Board (2008) : [Traduction]

« Je juge que l’objet central du régime statutaire pour l’enseignement à l’enfance en difficulté est l’accommodement pour les enfants ayant des besoins spéciaux, y compris les enfants handicapés, afin qu’ils puissent recevoir les avantages de l’éducation qu’ont les autres (voir Eaton, par. 68). Pour ce qui est de la prestation de services d’enseignement aux enfants handicapés, donc, elle a le même but que le Code. Pour reprendre les mots du Conseil, «  l’enseignement à l’enfance en difficulté, c’est l’offre d’accommodements appropriées pour les élèves en difficulté ». » Campbell c. Toronto District School Board (2008) TDPO 62

La Loi prévoit aussi des mécanismes pour permettre aux parents (ainsi qu’aux tuteurs et aux étudiants adultes) de participer aux décisions prises dans le cadre des programmes d’enseignement à l’enfance en difficulté. Ces intervenants peuvent demander des réunions avec le Comité d’identification, de placement et de réexamen (le « CIPR ») et en appeler des décisions du CIPR devant une commission d’appel. La dernière étape du processus d’appel est une audition devant le Tribunal de l’enfance en difficulté (le TED), c’est‑à-dire un tribunal spécial établi en vertu de la Loi, dont les décisions sont finales.

PLAN D’ENSEIGNEMENT INDIVIDUALISÉ ET accommodementS

En octobre 2005, le CSDT, en consultation avec la mère de l’élève, a mis au point et adopté le plan d’enseignement individualisé (« PEI ») de l’élève, qui précisait les forces et les besoins de l’élève et les accommodements nécessaires. Les enseignants de l’élève se sont vu remettre une liste des accommodements recommandées pour répondre aux besoins de l’élève. Ces accommodements visaient notamment :

  • le reformatage des tests;
  • l’allongement des délais pour les tests;
  • la prolongation des échéances pour les devoirs;
  • une place privilégiée en avant de la salle de cours;
  • une matière en « morceaux » plus petits;
  • un enseignement individuel en dehors des heures de classe habituelles.

Les enseignants de l’élève ont appliqué les accommodements recommandées, mais l’élève a néanmoins connu diverses difficultés pendant l’année scolaire. Il a été suspendu deux fois – une fois pour extorsion et une fois pour agression – et a été arrêté par la police pour la deuxième infraction. Après son arrestation, la police lui a imposé une restriction lui interdisant de fréquenter son école secondaire. L’élève a été tenu de s’inscrire à une autre école secondaire pour finir l’année scolaire.

En novembre 2008, l’élève, représenté par son tuteur à l’instance, a déposé une requête en vertu du Code alléguant que, de septembre 2005 à avril 2006, le CSDT avait violé son droit au traitement égal que lui garantit l’article 1 du Code. L’article 1 du Code prévoit que :

Toute personne a droit à un traitement égal en matière de services, de biens ou d’installations, sans discrimination fondée sur la race, l’ascendance, le lieu de d’origine, la couleur, l’origine ethnique, la citoyenneté, la croyance, le sexe, l’orientation sexuelle, l’âge, l’état matrimonial, l’état familial ou un handicap.

L’élève a allégué que le CSDT ne s’est pas conformé aux exigences de la Loi sur l’éducation et ne lui a pas assuré les services d’enseignement à l’enfance en difficulté qui répondaient aux besoins nés de son handicap. L’élève a aussi allégué que l’imposition des deux suspensions était discriminatoire parce que le CSDT n’avait pas tenu suffisamment compte de ses handicaps dans la détermination de sa culpabilité ou le choix de la sanction appropriée.

DISCRIMINATION SELON LE CODE

Le Tribunal a commencé son analyse en traitant de la portée de son enquête, affirmant qu’il n’était pas de son ressort de veiller à ce que le CSDT se conforme aux exigences de la Loi sur l’éducation :  [Traduction]

« Le Tribunal des droits de la personne n’est pas un organe de substitution pour la surveillance et la réglementation du régime d’enseignement à l’enfance en difficulté en vertu de la Loi sur l’éducation ».

Le Tribunal n’avait pas à juger si le Conseil scolaire avait ou pas suivi rigoureusement les procédures prévues dans la Loi sur l’éducation. La seule question dont le Tribunal était saisi était plutôt celle de savoir si l’élève avait été victime de discrimination en vertu du Code.

Dans le cours normal d’une requête au Tribunal des droits de la personne de l’Ontario, le requérant a le fardeau de faire une preuve prima facie de discrimination avant même que l’intimé ait à répondre. Par contre, dans Schafer, le Tribunal a fait observer que :  [Traduction]

« dans les cas d’enseignement à l’enfance en difficulté, il est évident qu’un enfant à besoins spéciaux est incapable d’accéder à un système d’éducation sans accommodement. »

Donc, la preuve prima facie a été présumée et le Tribunal a choisi d’entendre la preuve du CSDT en premier pour ensuite se tourner vers les parents afin qu’ils présentent leur preuve sur l’insuffisance des mesures d’accommodements.

L’obligation d’accommodement prévue à la législation sur les droits de la personne a des exigences procédurales et de fond. Dans Schafer, le Tribunal a fait une importante constatation :  [Traduction]

« Dans la mesure où il est pris des dispositions pour évaluer les besoins de l’enfant et préparer des accommodements, il est généralement satisfait au critère de procédure de l’obligation d’accommodement…De même, tant que les accommodements de fond recommandées par le CIPR et dans le PEI sont généralement mise en œuvre, il est satisfait au critère de fond de l’obligation d’accommodement. »

Quant à l’accommodement de fond, le Tribunal a aussi précisé que  [Traduction] « la question n’est pas de savoir si les accommodements mises en œuvre répondent aux exigences des parents et des enfants, ou s’il s’agissait d’un accommodement idéal ou même si un autre accommodement aurait été également approprié. » Le Tribunal s’est limité à voir si le CSDT avait ou non mis en œuvre les recommandations générales du CIPR ou du PEI afin de répondre aux besoins de l’enfant. Selon le Tribunal, le CSDT avait répondu à ces exigences. Il est ressorti de la preuve que les enseignants de l’élève étaient conscients de ses besoins spéciaux et ils avaient institué les accommodements appropriées dès le début de l’année scolaire.

Quant aux deux suspensions, le Tribunal a déclaré que, pour qu’il y ait discrimination selon le Code, « la preuve doit établir que l’école n’a pas su apprécier, dans l’évaluation de la culpabilité ou le choix d’une sanction, l’impact des difficultés d’apprentissage de l’élève et n’a pas su faire d’accommodements à cet égard ». Le Tribunal a conclu que la preuve a révélé que, depuis les stades de l’enquête jusqu’aux stades des mesures disciplinaires, le CSDT avait tenu compte des besoins spéciaux de l’élève et a fait des accommodements à leur égard. Il est particulièrement pertinent de constater que dans chaque cas de suspension, l’école a retenu les difficultés d’apprentissage de l’élève comme facteur atténuant et imposé de ce fait des suspensions plus brèves.

La requête de l’élève a été rejetée. Le Tribunal a jugé que les accommodements faites par le CSDT étaient à la fois appropriées et suffisantes et que le CSDT n’avait pas violé les droits de l’élève en vertu du Code.

À notre avis

Malgré le caractère direct de la décision du Tribunal, le requérant a demandé un réexamen de la décision. Le requérant a plaidé que la décision du Tribunal était entachée de confusion juridictionnelle; que le critère légal pour la discrimination avait été mal appliqué; que l’intérêt public n’avait pas été pris en compte; et que des éléments de preuve pertinents avaient été omis.

Sur la question de la confusion juridictionnelle, le requérant alléguait que le Tribunal avait eu tort de s’attacher à la question de savoir si le CSDT s’est conformé à la Loi sur l’éducation plutôt qu’au Code. Le Tribunal a rejeté cette allégation, invoquant sa décision initiale, où il avait dit : « Il n’appartient pas au Tribunal de surveiller la mise en œuvre de la Loi sur l’éducation ». Il a aussi rejeté les allégations du requérant selon lesquelles le critère pour la discrimination a été mal appliqué et que le Tribunal n’a pas tenu compte de l’intérêt public. Le Tribunal a déclaré que, pour fonder chaque allégation, la décision doit être en conflit avec la jurisprudence. Il a ensuite ajouté que le requérant n’a pu citer aucun conflit de jurisprudence. À l’appui de son allégation selon laquelle des éléments de preuve pertinents avaient été omis, le requérant a soumis des documents du ministère de l’Éducation au sujet des tendances en éducation. Le Tribunal a analysé les documents et conclu qu’ils n’avaient pas d’incidence sur sa décision ou son analyse et qu’ils ne risquaient pas d’être déterminants. En rejetant la demande de réexamen, le Tribunal a réaffirmé sa décision initiale, envoyant deux messages positifs aux conseils scolaires : en premier lieu, le Tribunal n’est pas un organe de substitution pour la réglementation du régime d’enseignement à l’enfance en difficulté en vertu de la Loi sur l’éducation; et, en second lieu, la mise œuvre des accommodements recommandées par le CIPR et le PEI répondront au critère de fond de l’obligation d’accommodement.

Si vous voulez davantage d’information, veuillez communiquer avec R. Paul Marshall  au (613) 940‑2754.

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