La Cour suprême juge que les prestations d’invalidité doivent être déduites des dommages-intérêts accordés pour renvoi injustifié

Les employés qui sont congédiés sans motif ou sans un avis raisonnable ont droit a une compensation en dommages-intérets égale au salaire pour la période de préavis. Si l’employé est handicapé au moment du congédiement, les prestations d’invalidité auxquelles l’employé a droit pour la période de préavis devraient-elles etre déduites du montant des dommages-intérets? Jusqu’a tout récemment, les Cours d’appel étaient partagées sur cette question. Alors que les tribunaux du Nouveau-Brunswick avaient déclaré que les prestations d’invalidité devaient etre déduites, l’opinion en Ontario, et, plus récemment, en Colombie-Britannique, était que l’employé avait droit a la fois aux prestations d’invalidité et aux dommages-intérets pour renvoi injustifié.

COUR D’APPEL DE L’ONTARIO : LES PRESTATIONS D’INVALIDITÉ NE SONT PAS DÉDUCTIBLES

Dans l’affaire McKay v. Camco Inc. (13 janvier 1986), la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que les prestations et les dommages-intérets découlaient de deux droits séparés et distincts assurés par le contrat de travail : le premier droit est établi par une disposition expresse du contrat prévoyant des prestations en cas d’invalidité, le second se fonde sur la condition implicite qu’un employé aura un préavis raisonnable si le renvoi n’est pas justifié. De plus, la Cour a ajouté, ces droits visent des fins différentes :

[TRADUCTION] « Le droit aux prestations d’invaliditĂ© vise a assurer un revenu [a l’employĂ©] lorsqu’il n’est pas en mesure de travailler. Le but du prĂ©avis raisonnable est de donner a l’employĂ© congĂ©diĂ© la chance de trouver un autre emploi.

Si les prestations d’invaliditĂ© Ă©taient dĂ©ductibles des dommages-intĂ©rets pour renvoi injustifiĂ©, le droit de [l’employĂ©] a un prĂ©avis raisonnable serait entierement bafouĂ©, puisqu’il n’aurait pu l’exercer pour chercher de l’emploi alors qu’il Ă©tait invalide. Â»

Se fondant sur cette distinction entre les deux droits, la Cour a jugĂ© que l’employĂ© avait droit a la fois aux prestations et aux dommages-intĂ©rets. Elle a Ă©galement dĂ©clarĂ© que la pĂ©riode de prĂ©avis de l’employĂ© invalide avait Ă©tĂ© « interrompue Â» par la pĂ©riode d’invaliditĂ©, et qu’elle reprenait une fois l’employĂ© rĂ©tabli. Les prestations d’invaliditĂ© n’étaient pas dĂ©ductibles des dommages-intĂ©rets, mais, par ailleurs, les deux formes de compensation ne pouvaient etre versĂ©es pour une meme pĂ©riode de temps.

COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE : DEUX CONTRATS, DEUX ENSEMBLES D’OBLIGATIONS

La décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, Sylvester v. British Columbia, rendue le 2 juin 1995, a trait a un cadre congédié a la suite d’une restructuration, apres 19 années de service. Peu de temps avant son congédiement, l’employé est tombé malade. L’employeur lui a offert une indemnité de départ équivalente a 12,5 mois de salaire, dont on déduirait toute prestation d’invalidité. L’employé a poursuivi, et le tribunal de premiere instance a augmenté la période de préavis pour la porter a 15 mois, tout en maintenant la déduction des prestations.

La Cour d’appel a accru encore la pĂ©riode de prĂ©avis, la faisant passer a 20 mois, et a ordonnĂ© que les dommages-intĂ©rets versĂ©s a l’employĂ© ne soient pas rĂ©duits du montant de toute prestation d’invaliditĂ© reçue. La Cour a dĂ©clarĂ© que l’employĂ© avait droit aux deux types de compensation puisqu’il y avait, effectivement, deux contrats a honorer : le contrat de travail de base, avec sa condition implicite de prĂ©avis raisonnable, et le rĂ©gime d’invaliditĂ©. Ces deux contrats faisaient partie de « l’ensemble des conditions d’emploi Â».

Il est vrai, a fait observé la Cour, que les employés capables de travailler ne reçoivent pas de prestations d’invalidité, et que les employés recevant des prestations n’ont pas droit a leur salaire. Dans les circonstances ordinaires, par conséquent, les obligations des parties sont régies soit par le contrat de travail, soit par le régime d’invalidité, mais non par les deux en meme temps. Tel n’est pas le cas, toutefois, lorsqu’on décide de la cessation d’emploi d’un employé :

[TRADUCTION] « La relation entre ces deux diffĂ©rentes obligations contractuelles change avec l’avis de cessation d’emploi. Selon moi, les deux contrats agissent alors de concert et les deux doivent etre exĂ©cutĂ©s. Par ailleurs, si l’employeur ne remplit pas ses obligations en vertu de l’un ou l’autre des contrats, ou des deux, les dommages-intĂ©rets doivent etre Ă©valuĂ©s en vertu du contrat rompu ou des contrats rompus. Â»

L’idée que les prestations d’invalidité seraient déductibles du préavis irait a l’encontre du but du préavis, soit de permettre a l’employé de chercher un autre emploi. La Cour a ajouté que si elle reprenait la regle de l’arret McKay quant au caractere déductible des prestations, elle s’en écartait en jugeant que les dommages-intérets de préavis et les prestations d’invalidité pouvaient etre versés pour une meme période.

COUR SUPREME DU CANADA ; AUCUNE INTENTION DE PAYER L’EMPLOYÉ DEUX FOIS

L’employeur dans l’affaire Sylvester a interjeté appel de la décision sur la seule question du caractere déductible des prestations; la Cour supreme du Canada, dans une décision rendue le 29 mai 1997, lui a donné raison. La Cour a déclaré que puisqu’il s’agissait d’une affaire contractuelle, la question du caractere déductible devait se résoudre par l’examen des conditions du contrat d’emploi et de l’intention des parties contractantes.

Contrairement a la Cour d’appel, la Cour supreme a déclaré que les régimes de prestations n’étaient pas distincts du contrat de travail, mais en faisaient plutôt partie intégrante. Un examen des conditions du contrat de travail a montré qu’il ne prévoyait pas que l’employé pourrait recevoir les deux types de compensation, et la Cour ne pouvait non plus trouver une intention implicite a cet effet.

La Cour a fondé sa conclusion sur le fait que le régime des prestations était conçu pour offrir un substitut au salaire de l’employé, et que ces prestations devaient etre réduites par des revenus provenant d’autres sources. En outre, a déclaré la Cour, le paiement simultané de prestations d’invalidité et de dommages-intérets pour préavis était incompatible avec les modalités du contrat de travail, puisque les deux droits se fondaient sur des postulats opposés :

« Le droit contractuel de [l’employĂ©] de recevoir des dommages-intĂ©rets pour congĂ©diement injustifiĂ© et son droit contractuel a des prestations d’invaliditĂ© reposent sur des hypotheses opposĂ©es en ce qui concerne sa capacitĂ© de travailler…Les dommages-intĂ©rets sont fondĂ©s sur la prĂ©misse qu’il aurait travaillĂ© pendant la pĂ©riode visĂ©e par le prĂ©avis. Les prestations d’invaliditĂ© ne sont payables que parce qu’il ne pouvait pas travailler. Il serait illogique de verser des dommages-intĂ©rets en supposant que l’employĂ© aurait travaillĂ©, en sus de prestations d’invaliditĂ© dĂ©coulant d’un droit qui n’a pris naissance que parce qu’il ne pouvait pas travailler. Cela tend a indiquer que les parties n’entendaient pas que [l’employĂ©] reçoive a la fois des dommages-intĂ©rets et des prestations d’invaliditĂ©. Â»

La Cour a ajouté que sa conclusion était étayée par le fait que l’employé n’aurait pas reçu a la fois un salaire et des prestations pendant la période de préavis si l’employeur avait donné un préavis suffisant. En outre, la déduction des prestations assurait le traitement égal de tous les employés congédiés :

« Si des prestations d’invaliditĂ© sont payĂ©es en sus de dommages-intĂ©rets pour congĂ©diement injustifiĂ©, l’employĂ© qui reçoit des prestations d’invaliditĂ© reçoit une indemnitĂ© plus Ă©levĂ©e que l’employĂ© qui est congĂ©diĂ© pendant qu’il travaille. Le fait de dĂ©duire les prestations d’invaliditĂ© garantit que tous les employĂ©s touchĂ©s reçoivent des dommages-intĂ©rets Ă©quivalents, c.-a-d. le salaire qu’ils auraient reçu au cours de la pĂ©riode visĂ©e par le prĂ©avis. Â»

De plus, fait remarquer la Cour, de permettre aux employés de garder les deux types de compensation constituerait une mesure dissuasive, non souhaitable, pour les employeurs :

« Si les prestations d’invaliditĂ© ne sont pas dĂ©ductibles, les employeurs qui Ă©tablissent des rĂ©gimes de prestations d’invaliditĂ© devront, en cas de cessation d’emploi, payer davantage aux employĂ©s touchĂ©s que les employeurs qui n’établissent pas de tels rĂ©gimes. Ce facteur de dissuasion a l’établissement de rĂ©gimes de prestations d’invaliditĂ© n’est pas souhaitable. Â»

La Cour conclut en soulignant que le rĂ©sultat aurait Ă©tĂ© diffĂ©rent si l’employĂ© avait cotisĂ© au rĂ©gime. En l’espece, toutefois, l’employeur avait payĂ© tous les couts du rĂ©gime, et la Cour n’était pas saisie de la question de savoir si les prestations devraient etre dĂ©duites lorsque l’employĂ© a cotisĂ© au rĂ©gime. (Voir aussi « Les finitions — mettre la derniere main au congĂ©diement Â» sous la rubrique « Publications Â».)

Notre point de vue

Cette décision est perçue comme une grande victoire pour les employeurs, qui n’auront plus a supporter le fardeau de compenser deux fois les employés invalides qui sont congédiés. Les avocats qui représentent les employés la jugent injuste, parce qu’elle néglige selon eux la distinction a faire entre les buts du préavis et des prestations d’invalidité, comme l’a faite la Cour dans l’affaire McKay.

Comme l’indiquent les motifs de la Cour supreme, cette décision ne s’applique que dans les cas ou seul l’employeur contribue au régime de prestations, et ne regle pas le cas ou l’employé cotise au régime de prestations d’invalidité.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec André Champagne au (613) 563-7660, poste 229.

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