La Cour divisionnaire de l’Ontario confirme la mesure de redressement inhabituelle que constitue la réintégration dans une affaire de droits de la personne, après une absence de plus de 12 ans du milieu de travail

Dans le cadre des litiges en relations de travail, la réintégration d’un employé constitue une mesure de redressement usuelle qui découle des modalités d’une convention collective. Cette mesure de redressement est toutefois beaucoup moins courante dans les litiges en droits de la personne. La décision récemment rendue dans Hamilton-Wentworth District School Board c. Fair (29 septembre 2014) indique que dans certains cas, la réintégration peut néanmoins constituer une mesure de redressement appropriée dans le contexte des droits de la personne.

Sharon Fair a travaillé pour le Conseil scolaire du district de Hamilton-Wentworth (« Conseil scolaire ») de 1988 à juillet 2004. Au moment de son licenciement, Mme Fair occupait le poste de superviseure, Substances réglementées, Amiante. À l’automne 2001, elle a développé des troubles anxieux généralisés et commencé à souffrir de dépression et d’état de stress post-traumatique. Ces conditions ont été attribuées au stress inhérent à son travail et à sa crainte que si elle commettait une erreur au sujet de l’enlèvement de l’amiante, elle pouvait être tenue personnellement responsable d’une contravention à la Loi sur la santé et la sécurité au travail. Elle a débuté un congé d’invalidité et, en mars 2002, a commencé à recevoir des prestations d’invalidité de longue durée du Régime d’assurance des enseignantes et des enseignants de l’Ontario (« RAEO »). En déterminant son droit aux prestations, le RAEO a conclu que même si Mme Fair ne pouvait pas retourner au travail à son ancien poste, elle pouvait avoir un emploi rémunérateur. Ainsi, le RAEO a cessé de verser les prestations d’invalidité en avril 2004. Le Conseil scolaire a par la suite licencié Mme Fair après avoir conclu ne pas pouvoir lui trouver un poste convenable en raison des restrictions professionnelles liées à son invalidité. Mme Fair a déposé une plainte auprès de la Commission ontarienne des droits de la personne et, en 2009, a introduit une instance devant le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (« Tribunal ») en vertu des dispositions transitoires de la version modifiée du Code des droits de la personne de l’Ontario (« Code »). Dans la nouvelle instance, Mme Fair a demandé pour la première fois sa réintégration.

Le Tribunal a entendu l’affaire au début de 2012 et a rendu sa décision en février de cette année-là. Dans ses motifs, le Tribunal a déclaré que le Conseil scolaire avait manqué à son obligation de recenser activement, sans délai et avec diligence les solutions possibles au besoin d’accommodement de Mme Fair. Le Tribunal en est arrivé à cette conclusion par suite du comportement du Conseil scolaire, notamment :

  • le défaut par le Conseil scolaire de rencontrer le conseiller en réadaptation professionnelle du RAEO pour envisager les possibilités de bénévolat et d’activités de conditionnement au travail pour Mme Fair;
  • le défaut de fournir à Mme Fair des renseignements liés aux fonctions essentielles de son emploi;
  • le défaut de rencontrer rapidement Mme Fair pour discuter de son retour au travail;
  • le défaut de solliciter l’avis ou les conseils d’expert d’un médecin relativement aux restrictions au travail.

Selon le Tribunal, le comportement global du Conseil scolaire indiquait qu’il ne semblait même pas prêt à tenter d’accommoder Mme Fair en lui confiant un autre poste. La preuve a démontré qu’il y avait en réalité au moins deux autres postes qui auraient convenu à Mme Fair et qui n’auraient pas entraîné de contrainte excessive pour le Conseil scolaire. À la lumière de ce qui précède, le Tribunal a conclu que le Conseil scolaire avait fait preuve de discrimination contre Mme Fair pour cause d’invalidité en manquant à son obligation d’accommoder ses besoins liés à son invalidité. Le licenciement de Mme Fair a été jugé contraire au Code.

Dans une décision postérieure rendue en mars 2013, le Tribunal s’est penché sur la mesure de redressement qu’il y avait lieu d’ordonner par suite de la discrimination par le Conseil scolaire, notamment sur la demande de réintégration de Mme Fair. Le Tribunal a d’abord énoncé les dispositions réparatrices du Code :

45.2  (1)  À la suite d’une requête présentée en vertu de l’article 34, le Tribunal peut, s’il décide qu’une partie à la requête a porté atteinte à un droit d’une autre partie à la requête reconnu dans la partie I, rendre une ou plusieurs des ordonnances suivantes :

1. Une ordonnance enjoignant à la partie qui a porté atteinte au droit de verser une indemnité à la partie lésée pour la perte consécutive à l’atteinte, y compris une indemnité pour atteinte à la dignité, aux sentiments et à l’estime de soi.

2. Une ordonnance enjoignant à la partie qui a porté atteinte au droit d’effectuer une restitution à la partie lésée, autre que le versement d’une indemnité, pour la perte consécutive à l’atteinte, y compris une restitution pour atteinte à la dignité, aux sentiments et à l’estime de soi.

3.  Une ordonnance enjoignant à toute partie à la requête de prendre les mesures qui, selon le Tribunal, s’imposent pour favoriser l’observation de la présente loi.

Le Tribunal a ensuite cité les principes directeurs de la détermination de la mesure de redressement convenable énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt McKinney c. Université de Guelph, (1990) :

… il convient de souligner que les droits des appelants qui ont été violés se rapportent à leur dignité, à leur valorisation personnelle et à leur estime de soi comme membres appréciés de la collectivité, et donc à des valeurs qui sont au cœur même de la Charte. À mon avis, il ne suffirait pas de rendre une ordonnance qui ne cherche pas à réparer le préjudice qui découle des violations de ce droit. La réintégration est certainement le moyen le plus efficace de corriger le tort qui a été causé …

Le Tribunal a fait remarquer qu’il n’y avait entre les parties aucune animosité ou tension qui rendrait impossible la relation d’emploi pour l’avenir. Ainsi, il a conclu que Mme Fair devait être réintégrée dans un poste équivalent à celui qu’elle occupait au moment de son licenciement, sous réserve de la restriction médicale selon laquelle le poste ne doit pas comporter de possibilité de responsabilité personnelle en matière de santé et de sécurité et de l’obligation par le Conseil scolaire de prévoir une période raisonnable (jusqu’à concurrence de six mois) de formation. En sus de la réintégration, le Tribunal a ordonné au Conseil scolaire d’apporter les rajustements nécessaires à l’ancienneté de Mme Fair, aux jours de congés de maladie accumulés et aux autres droits liés à l’emploi et lui a ordonné de payer les salaires perdus (plus de 400 000 $) du 26 juin 2003 (date à laquelle Mme Fair aurait pu pour la première fois bénéficier d’un accommodement) à la date de réintégration. Le Tribunal a également accordé des dommages-intérêts au titre des contributions à la pension et des frais de rachat, des paiements rétroactifs au Régime de pension du Canada, des frais médicaux et dentaires qui auraient été couverts par le régime d’avantages sociaux applicables et d’une indemnité relative aux incidences fiscales additionnelles découlant des sommes forfaitaires payées ainsi que des dommages-intérêts au montant de 30 000 $ à titre d’indemnité pour atteinte à la dignité, aux sentiments et à l’estime de soi et, finalement, les intérêts antérieurs et postérieurs à la décision. Le Conseil scolaire a sollicité le contrôle judiciaire des décisions du Tribunal relativement à la responsabilité et à la mesure de redressement.

En contrôle judiciaire, la Cour divisionnaire n’a pas hésité à confirmer les décisions du Tribunal au motif qu’elles se situaient parmi les issues raisonnables possibles. Elle a souligné dans ses motifs que le Conseil scolaire était un important employeur du secteur public et qu’il était difficile de conclure que Mme Fair avait bénéficié d’un accommodement jusqu’au point de la contrainte excessive. Cela ressortait particulièrement du refus par le Conseil scolaire d’affecter Mme Fair à l’un des postes vacants qui auraient accommodé son invalidité.

En ce qui concerne la mesure de redressement, la Cour divisionnaire a convenu avec le Conseil scolaire que la réintégration était inhabituelle dans les litiges en droits de la personne. La Cour a cependant souligné qu’il ne s’agissait pas d’une mesure de redressement inhabituelle dans le contexte des litiges en relations de travail, où les questions en litige entre les parties peuvent être identiques. La Cour divisionnaire a aussi souligné le fait que le Code confère au Tribunal un vaste pouvoir lui permettant d’ordonner ce qui est nécessaire pour garantir la conformité au Code. Selon la Cour, même si la réintégration constituait une mesure de redressement inhabituelle, rien en droit n’y faisait obstacle. Ainsi, la Cour divisionnaire a conclu que la réintégration était raisonnable et a rejeté la demande du Conseil scolaire.

Le conseil scolaire a déposé une demande d’autorisation d’appel à la Cour d’appel de l’Ontario le 14 octobre 2014. Nous tiendrons nos lecteurs au courant de la suite des évènements.

Si vous voulez davantage d’information, veuillez communiquer avec Carole Piette au 613-940-2733.

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