La Cour d’appel juge que l’employeur syndiqué peut être poursuivi pour négligence relativement à l’administration du régime d’assurance-vie

La Cour d’appel de l’Ontario s’est encore une fois penchée sur la compétence des tribunaux lorsqu’un litige oppose un employeur syndiqué à ses employés. La question, bien connue des lecteurs des avis courriel AU POINT, a trait à l’application de la doctrine énoncée par la Cour suprême du Canada dans son arrêt de 1995, Weber c. Hydro Ontario, selon laquelle un tribunal judiciaire doit refuser d’être saisi d’un différend si celui-ci découle essentiellement de la convention collective. L’arrêt de la Cour d’appel, Perlett Estate v. Riverside Health Care Facilities Inc. (26 mai 2005), illustre bien l’importance du libellé de la convention collective pour déterminer si l’employé peut s’adresser à un tribunal judiciaire ou s’il doit avoir recours à l’arbitrage.

Il s’agissait dans cette affaire d’une réclamation de prestations d’assurance-vie par la succession d’une infirmière décédée. Le régime collectif d’assurance-vie prévoyait deux types de prestations : des prestations de base en montants stipulés, et des prestations majorées égales au double de la rémunération annuelle de l’assuré. Parce qu’en 1981 l’infirmière avait choisi la couverture de prestations de base, l’assureur n’a payé qu’environ 10 000 $ lorsque la succession a présenté sa réclamation pour les prestations.

GRIEF DÉPOSÉ, ACTION JUDICIAIRE INTENTÉE

Le syndicat de l’infirmière a déposé un grief contre l’employeur en vertu des dispositions sur l’arbitrage de la convention collective. L’employeur a déclaré que le grief n’était pas arbitrable, puisque sa seule obligation relativement au régime collectif d’assurance-vie, d’après la convention collective, était de payer un pourcentage stipulé de la prime pour la police d’assurance et de fournir aux employés un livret de renseignements sur la police. Celle-ci ne faisait pas partie de la convention collective, et cette dernière ne prévoyait pas les modalités d’administration du régime d’assurance-vie.

La succession a ensuite poursuivi et l’employeur et l’assureur. La demande intentée contre l’assureur a été réglée, mais l’action contre l’employeur a continué. La succession alléguait que l’employeur avait été négligent dans son administration du régime d’assurance-vie, de sorte qu’on avait refusé à tort à la succession les prestations majorées auxquelles l’infirmière aurait eu droit en vertu du régime. L’employeur a convenu de ne pas soulever la question de la compétence du tribunal au procès, et le grief s’est ainsi réglé.

En première instance, la juge a statué que l’employeur avait à l’endroit de ses employés un devoir de diligence qui l’obligeait à les renseigner sur l’assurance collective et à administrer les régimes collectifs d’avantages sociaux de façon compétente. La juge a conclu que dans le cas de l’infirmière décédée, l’employeur avait failli à ce devoir à plusieurs égards et que, si elle avait été correctement informée de la possibilité d’obtenir des prestations majorées en vertu de la police d’assurance, l’infirmière aurait demandé et aurait reçu la couverture de prestations majorées. Toutefois, la juge s’est appuyée sur l’arrêt Weber pour rejeter la demande, et a jugé que la négligence de l’employeur dans l’administration du régime d’assurance était une question régie par la convention collective. La juge s’est ainsi prononcée sur cette question, même si la question de compétence n’avait pas été soulevée au procès. La succession a interjeté appel de la décision.

COUR D’APPEL : LA CONVENTION COLLECTIVE EST SILENCIEUSE QUANT AU LITIGE

La Cour d’appel a accueilli l’appel, pour trois motifs. D’abord, la Cour a jugé qu’en concluant que la question de la négligence de l’employeur dans l’administration du régime d’assurance était une question régie par la convention collective, la juge de première instance avait omis de déterminer le caractère essentiel du litige et n’avait pas statué sur la question de savoir si la question était visée par la convention collective, compte tenu de l’obligation limitée de l’employeur dans les dispositions de la convention portant spécifiquement sur le régime collectif d’assurance-vie.

Ensuite, la question de savoir si la demande de la succession était arbitrable n’avait pas été soulevée au procès. Pourtant, la décision du juge à l’effet que la demande était arbitrable était le motif même pour lequel elle avait rejeté la demande.

Enfin, a statué la Cour, le litige n’était pas, de fait, régi essentiellement par la convention collective :

    « [TRADUCTION] Le caractère essentiel du litige entre les parties touche l’intégrité de l’administration du régime collectif d’assurance-vie [par l’employeur] et son devoir [à l’égard de l’infirmière] en tant que participante au régime. La convention collective ne parle pas de ces questions. La convention prévoit seulement l’obligation [de l’employeur] de payer les primes de la police à l’échéance et de fournir aux employés un livret de renseignements sur la police d’assurance. »

En l’espèce, a fait remarquer la Cour, il n’y avait aucun différend portant sur le paiement des primes par l’employeur à leur échéance, comme il était tenu de le faire aux termes de la convention. Par conséquent, a jugé la Cour, le caractère essentiel du litige ne touchait pas les droits et obligations des parties établis dans la convention collective.

LES « CONCLUSIONS CLAIRES » DU JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE SUR LE DÉFAUT DE REMPLIR L’OBLIGATION SONT MAINTENUES

Après avoir cassé le rejet par le juge de première instance de l’action de la succession pour des motifs de compétence, la Cour a toutefois noté que le juge avait tiré des « conclusions claires » à l’effet que l’employeur avait une obligation de diligence à l’égard de l’infirmière de bien administrer le régime et qu’il avait failli à cette obligation. L’employeur n’avait pas interjeté appel de cette partie de la décision, et il n’y avait pas de différend quant au montant de la perte pour la succession – plus de 200 000$. Compte tenu de ces facteurs, la Cour a jugé qu’elle devrait donner effet aux conclusions du juge de première instance. Par conséquent, elle a accordé à la succession plus de 200 000$ en dommages et intérêts.

Notre point de vue

Cette décision nous rappelle encore une fois que pour déterminer si un différend doit être soumis à l’arbitrage, il faut savoir si la nature essentielle du différend découle de l’interprétation, de l’application, de l’administration ou de la violation de la convention collective. (Voir également « La Cour d’appel de l’Ontario se prononce à nouveau sur le caractère arbitrable des demandes de prestations » sous la rubrique « Publications »).

Il convient de souligner que le résultat en l’espèce est conforme à celui d’une récente série de décisions qui traitent des circonstances dans lesquelles les demandes relatives aux prestations des employés sont arbitrables. Le principe qui se dégage est le suivant : si le libellé de la convention collective indique l’intention de l’employeur d’être responsable de fournir les prestations, la demande est arbitrable. Si la convention ne dit rien au sujet des prestations, ou si l’employeur s’engage uniquement à payer les primes du régime, l’employé peut intenter une action en justice.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec André Champagne au (613) 940-2735.

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